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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/281

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LE BUISSON ARDENT

s’ajoutaient les renseignements fournis par la domestique même d’Anna. La curiosité publique était maintenant aux aguets, attendant qu’ils se compromissent, les épiant par mille yeux invisibles. La ville silencieuse et sournoise les traquait, comme un chat à l’affût.

Malgré le danger, Anna n’eût peut-être pas cédé ; peut-être le sentiment de cette lâche hostilité l’eût-elle poussée à la provoquer rageusement, si elle n’avait porté en elle l’esprit pharisaïque de cette société qui lui était ennemie. L’éducation avait asservi sa nature. Elle avait beau juger la tyrannie et la niaiserie de l’opinion : elle la respectait ; elle souscrivait à ses arrêts, même quand ils la frappaient ; s’ils avaient été en opposition avec sa conscience, elle eût donné tort à sa conscience. Elle méprisait la ville ; et le mépris de la ville lui eût été impossible à supporter.

Or, le moment venait où l’occasion allait s’offrir à la médisance publique de s’épancher. Le carnaval approchait.


Le carnaval, dans cette ville, avait gardé jusqu’au temps où se déroule cette histoire — (il a bien changé, depuis) — un caractère de licence et d’âpreté archaïque. Fidèle à