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134 L'AME ENCHANTÉE

avec l’avidité de tout prendre et de tout donner. Et maintenant, elles se taisaient, pour mieux penser à tout ce butin caché.

Mais elles avaient beau vouloir tout voir et tout avoir : au bout du compte, elles restaient une énigme l’une pour l’autre. Et, sans doute, pour chaque être, chaque être est une énigme ; et c’est là un attrait. Mais que de choses en chacune, que l’autre ne comprendrait jamais ! Elles se disaient bien (car elles le savaient) :

— Qu’est-ce que cela fait, comprendre ? Comprendre, c’est expliquer. Il n’y a pas besoin d’expliquer pour aimer…

Tout de même, cela fait beaucoup ! Cela fait que si on ne comprend pas, on ne prend pas tout à fait. — Et puis, aimer, justement, comment aimaient-elles ? Elles n’avaient pas du tout la même façon d’aimer. Les deux filles de Raoul Rivière tenaient certes du père toutes deux une riche sève ; mais refoulée chez l’une, et dispersée chez l’autre. Rien de plus différent entre les deux sœurs que l’amour. La très libre tendresse de Sylvie, riante, gamine, effrontée, mais au fond très sensée, qui s’agitait beaucoup, mais ne perdait jamais le nord, qui froufroutait des ailes, mais ne s’envolait guère qu’autour de son pigeonnier. L’étrange démon d’amour, qui habitait Annette, et dont, depuis six mois à peine, elle avait reconnu la présence ;