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152 L'AME ENCHANTEE

apprendre que le monde est, dans ses affections, comme un petit marchand : il les livre, au détail. Ce fut long à comprendre, plus long à accepter. Elle n’en était encore qu’aux premières leçons.

Elle souffrit, sans le dire, de se voir, peu à peu, éliminée des journées de Sylvie. Sylvie n’était plus jamais seule, chez elle, à l’atelier. Et bientôt, elle ne le fut plus, en dehors du métier. Elle avait repris un ami. Annette se replia. Sa tendresse pour sa sœur la défendait maintenant contre le dépit jaloux et la sévérité des jugements de naguère. Mais elle ne la défendait pas contre la mélancolie. Sylvie, qui l’aimait assez pour avoir, malgré sa légèreté, l’intuition de la peine qu’elle causait, s’arrachait, de temps en temps, à la farandole de ses occupations, sérieuses ou plaisantes, — et tout d’un coup, au milieu d’un travail, ou bien d’un tête-à-tête, elle plantait là les affaires pressées, et courait chez Annette. Alors, c’était un tourbillon de tendresse qui passait. À l’heure où elle passait, cette tendresse n’était pas moindre chez Sylvie que chez Annette. Mais elle passait ; et quand le tourbillon remportait à ses affaires ou bien à ses plaisirs Sylvie, repue d’Annette, Annette, reconnaissante du petit ouragan d’amoureux bavardage, de folles confidences, d’embrassades rieuses, qui l’avait