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ANNETTE ET SYLYIE 155

qui avait, en un orage d’été, secoué le cœur d’Annette, laissait un ébranlement durable. Le souvenir de Tullio avait beau être effacé, l’équilibre de l’être était pour longtemps troublé. La tranquillité de sa vie, l’absence d’événements faisaient illusion à Annette : elle eût pu croire qu’il ne se passait rien et répété volontiers le cri nonchalant de ces veilleurs de nuit, dans les belles nuits italiennes : « Tempo sereno !… » Mais la chaude nuit couvait des orages nouveaux ; et l’air, instable, frémissait de remous inquiets. Un perpétuel désordre. Les poussées des âmes mortes, revivantes, se heurtaient dans cette âme en fusion… Ici, le dangereux héritage paternel, ces désirs qui, d’ordinaire, oubliés, endormis, se levaient brusquement, comme une lame de fond. Là, des forces contraires : une fierté morale, la passion de la pureté. Et cette autre passion de son indépendance, dont Annette avait éprouvé déjà, dans son union avec Sylvie, la gêne impérieuse, — dont elle pressentait, avec inquiétude, les conflits plus tragiques, un jour, avec l’amour. Tout ce travail intérieur l’occupait, la remplissait, pendant les longues journées d’hiver. L’âme, comme la chrysalide, enserrée dans le cocon de la lumière embrumée, rêvait son avenir, et s’écoutait rêver…

Soudain, elle perdait pied. Il se produisait