cœur et par l’instinct de liberté qu’elle portait dans son sang, à se trouver toujours du parti des opprimés. Elle avait donc connu des moments d’émotion passionnée, quand Zola et Picquart affrontaient la grande Bête — l’opinion déchaînée ; et il n’était pas impossible que, comme plus d’une jeune fille, en passant le long de la prison du Cherche-Midi, son cœur n’eût battu pour celui qui y était enfermé. Mais ces sentiments étaient peu raisonnés ; et Annette n’avait pu s’obliger à un examen critique de « l’Affaire ». La politique la rebutait ; quand elle avait tenté d'y regarder de près, elle en était aussitôt écartée par un mélange d’ennui et de répugnance, qu’elle ne cherchait pas à analyser. Son regard était trop franc pour ne pas avoir entrevu la somme de petitesses et de malpropretés, qui se répartissent à peu près également de l’un et de l’autre côtés. Moins sincère que ses yeux, son cœur voulait continuer à croire que le parti qui soutenait les idées de justice devait être composé des hommes les plus justes. Et elle se reprochait ce qu’elle nommait sa paresse à mieux connaître leur action. C’est pourquoi elle se contraignait, à leur égard, à une sympathie d’attente, — comme à l’exécution d’une page de musique nouvelle, que garantit un nom autorisé, un auditeur respectueux, qui ne la com-
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