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ANNETTE ET SYLVIE 231

touchant. Annette en riait tout bas, mais en gardant pour lui des trésors d’indulgence. Elle l’aimait bien. Elle le voyait, malgré tout, bon, généreux, ardent. Elle était comme une mère, qui traite d’une main douce les petits vices, à ses yeux, pas bien graves, d’un cher enfant ; elle ne l’en rend pas responsable ; elle n’en est que plus portée à le plaindre et à le dorloter… Ah ! et puis, Annette n’avait pas seulement pour Roger les yeux indulgents d’une mère ! Elle avait ceux très partiaux d’une amante. Le corps parlait. Sa voix était bien forte. Celle de la raison pouvait dire ce qui lui plaisait : il y avait une façon d’entendre, qui, de ces blâmes mêmes, allumait les désirs. Annette voyait bien tout. Mais, de même qu’il est une manière, en inclinant la tête et clignant les paupières, d’harmoniser les plans d’un paysage, Annette, tout en voyant les traits fâcheux de Roger, les regardait d’un angle où ils s’adoucissaient. Elle n’eût pas été loin d’aimer jusqu’aux laideurs : car on donne plus de soi, en aimant les défauts de ce qu’on aime ; quand on aime ce qu’il a de beau, on ne donne pas, on prend. Annette pensait :

— Je t’aime d’être imparfait. Si tu savais que je le vois, tu t’en irriterais. Pardon ! Je n’ai rien vu… Mais moi, je ne suis pas comme toi : je veux que tu me voies imparfaite ! Je le suis,