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246 L’AME EXCHANTEE

avec soi. Mais l’amour ne doit pas vouloir nous retenir en arrière, enfermés avec lui dans l’immobile douceur d’une seule pensée. Un bel amour peut durer toute une vie ; mais il ne la remplit pas toute. Songez, mon cher Roger, que, tout en vous aimant, je me trouverai peut-être un jour, (je me trouve déjà) à l’étroit dans votre cercle d’action et de pensée. Je ne songerais jamais à contester pour vous la valeur de votre choix. Mais serait-il juste qu’il me fût imposé ? Et ne trouvez-vous pas équitable de me reconnaître la liberté d’ouvrir la fenêtre, si je n’ai pas assez d’air, — et même un peu la porte — (oh ! je n’irai pas bien loin !) — d’avoir mon petit domaine d’action, mes intérêts d’esprit, mes amitiés propres, de ne pas rester confinée sur un même point du globe, dans le même horizon, de tâcher de l’élargir, de changer d’air, d’émigrer.., (je dis : si c’est nécessaire… je ne le sais pas encore. Mais j’ai, en tout cas, besoin de sentir que je suis libre de le faire, que je suis libre de vouloir, libre de respirer, libre… libre d’être libre… même si je ne faisais jamais usage de ma liberté.)… Pardonnez-moi, Roger, peut-être vous trouvez ce besoin absurde et puéril. Ce ne l’est pas, je vous assure, c’est le plus profond de mon être, le souffle qui me fait vivre. Si on me le retirait, je mourrais,.. Je fais tout, par amour… Mais la