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254 L’AME ENCHANTEE

D’autres questions plus graves se posaient. L’intimité d’Annette avec Sylvie eût été fort menacée. Il était évident que la libre fille serait, dans ce milieu, difficilement admise, et que la petite couturière le serait encore moins. Jamais les Brissot, vaniteux, collet-monté, n’eussent admis, pour eux ou pour leur bru, d’aussi scandaleux rapports de parenté. Il eût fallu les cacher. Sylvie ne s’y fût pas plus prêtée qu’Annette. Chacune avait sa fierté, et chacune était fière de l’autre. Annette aimait Roger ; et elle le voulait, d’un désir plus brûlant qu’elle ne se l’avouait ; mais elle ne lui eût jamais sacrifié sa Sylvie. Elle l’avait trop aimée ; et si cet amour, peut-être, avait pâli, elle n’oubliait point qu’à certaines minutes elle avait touché là le fond de la passion : — (elle le savait, elle seule ; Sylvie même ne s’en doutait qu’à moitié). — Mais, dans les heures de mutuelles confidences avec Roger, Annette lui avait beaucoup trop raconté. Roger semblait alors amusé, touché… Oui, mais à condition que ce fût du passé. Il ne tenait pas du tout à voir se prolonger cette fraternité compromettante. Il était même, en secret, décidé à la faire cesser, doucement, sans avoir l’air d’y toucher. Il ne voulait partager avec personne l’intimité de sa femme. Sa femme… « Ce chien est à moi… » Comme toute sa famille, il avait le