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ANNETTE ET SYLVIE 257

fille rusée aurait pu se dire, en les évaluant à leur juste mesure :

— Parlez toujours ! Je n’en ferai qu’à ma tête !

Il était à penser qu’une énergie tenace, comme celle d’Annette, ne serait jamais étouffée. Mais Annette passait par cette fièvre nerveuse des femmes qui, à force de trop fixer l’objet qui les préoccupe, ne le voient plus comme il est. De quelques mots entendus dans la journée, elle se forgeait des monstres, le soir, quand elle était seule. Elle s’épouvantait de la lutte qu’il lui faudrait perpétuellement soutenir, et elle se répétait qu’elle ne réussirait jamais à se défendre contre tous. Elle ne se sentait plus assez forte. Elle doutait de son énergie. Elle avait peur de sa propre nature, de ces oscillations, inattendues, par où son esprit inquiet continuait d’être ballotté, de ces brusques sautes des vents qu’elle ne s’expliquait pas. — Et certes, elles provenaient de la complexité de sa riche substance, dont la neuve harmonie ne pourrait que lentement se réaliser par la vie ; mais, en attendant, elles risquaient de la livrer à toutes les surprises de la violence, de la faiblesse, de la chair, de la pensée, aux hasards insidieux du destin embusqué au tournant d’une minute, sous les pierres du chemin…