Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/29

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et l’approche de la mort avec des cris de révolte. Jusqu’au suprême souffle d’une agonie haletante, comme un cheval au galop qui gravit une pente, il lutta dans l’effroi. Ces affreuses images, ainsi qu’en une cire, s’imprimèrent dans l’esprit brûlant d’Annette. Elle en resta, des nuits, hallucinée. Dans le noir de sa chambre, couchée, près de s’endormir, ou réveillée soudain, elle revivait l’agonie et le visage du mourant, avec une telle violence qu’elle était le mourant ; ses yeux étaient ses yeux ; son souffle était son souffle ; elle ne les distinguait plus ; dans ses orbites elle percevait l’appel du regard chaviré. Elle faillit être détruite. — Mais une jeunesse robuste jouit d’une telle élasticité ! Plus la corde est tendue, et plus loin rejaillit la flèche de la vie. L’aveuglante lumière de ces images affolées s’éteignit, par son excès, et fit la nuit dans le souvenir. Les traits, la voix, le rayonnement du disparu, tout disparut : Annette, fixant jusqu’à l’épuisement l’ombre qui était en elle, n’y retrouva plus rien. Rien qu’elle-même. Elle seule… Seule. L’Ève au jardin se réveillait sans le compagnon à ses côtés, celui qu’elle avait toujours su près d’elle, sans chercher à le définir, celui qui, dans sa pensée, prenait, sans qu’elle s’en doutât, les formes imprécises encore de l’amour. Et soudain, le jardin perdit sa sécurité. Les