Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/51

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avec lui. Sylvie profitait d’un arrêt dans le récit, pour servir à Annette, en retour, ses propres souvenirs de l’affection paternelle. Et chacune, sans le vouloir, enviait la part de l’autre ; et chacune tâchait de faire valoir la sienne. Parlant ou écoutant, — (ne voulant pas écouter, mais entendant quand même), — elles continuaient de s’inspecter, de la tête au talon. Sylvie, complaisamment, comparait ses jambes longues et les fines chevilles de ses petits pieds nus qui jouaient dans les pantoufles, aux attaches un peu lourdes, aux chevilles engoncées d’Annette. Et Annette, étudiant les mains de Sylvie, n’oubliait pas de noter les lunules travaillées de ses ongles trop roses. — Ce n’étaient pas seulement deux jeunes filles qui se trouvaient en présence ; c’étaient les deux ménages rivaux. Aussi, malgré l’abandon apparent de l’entretien, elles restaient armées du regard et du bec, et s’observaient rudement. La féroce acuité de la jalousie leur faisait à chacune percer du premier coup d’œil, crûment, jusqu’au fond de l’autre, les tares, les vices cachés, dont l’autre ne se doutait peut-être pas. Sylvie lisait dans Annette le démon d’orgueil, la dureté de principes, la violence despotique, qui n’avaient pourtant pas eu encore l’occasion de s’exercer. Annette lisait dans Sylvie la sécheresse foncière et la fausseté sou-