Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/60

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côtés, une énigme déconcertante : deux natures, deux mondes, malgré tout, étrangers. Sylvie, pour cette visite, — (elle y avait songé plus qu’elle n’en eût convenu), — s’était faite aussi séduisante qu’elle pouvait. Et elle pouvait beaucoup. Annette était sous le charme, et, en même temps, gênée par certains petits artifices de coquetterie qui la mettaient mal à l’aise. Sylvie s’en apercevait, sans tenter d’y rien changer ; et cette grande sœur, libre et naïve, brûlante et réservée, l’attirait, l’intimidait. (À l’entendre bavarder, on ne s’en fût pas douté !) L’une et l’autre étaient fines et très observatrices ; elles ne perdaient pas un coup d’œil, ni une réflexion. Elles n’étaient pas sûres encore l’une de l’autre. Méfiantes et expansives, elles voulaient se donner. Oui, mais elles ne voulaient pas donner sans recevoir ! Elles avaient toutes deux un diable de petit orgueil. Annette avait le plus fort. Mais les mouvements d’amour chez elle étaient aussi plus forts. Et elle se trahissait. Quand elle donnait plus qu’elle n’aurait voulu, c’était une défaite, que Sylvie savourait. — Tels deux négociateurs qui, brûlant de s’entendre, mais, sagement circonspects, guettant chaque mouvement, s’avancent prudemment…

Le duel était inégal. Très vile, Sylvie se rendit compte de la passion impérieuse et