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60 L’AME ENCHANTÉE

passait dans l’esprit de sa sœur. Elle en éprouvait un amusement, mêlé d’un reste d’hostilité. Les deux races rivales. Les deux classes. Sans qu’il y eût paru, Sylvie avait, chez Annette, fait la comparaison de leurs vies et de leurs conditions. Elle pensait :

— Tout de même, tu vois, on a ses petits avantages. J’ai ce que tu n’as pas… Tu croyais me tenir, et tu ne me tiens pas… Oui, va, va, fais ta moue et ta lèvre gonflée !… J’ai choqué tes convenances… Quel coup, ma pauvre Annette !…

Et riant de la déconvenue qu’elle s’imaginait lire sur le visage d’Annette, elle embrasserait sa main et envoyait un baiser. Mais, tout en se disant qu’Annette avait de la peine et que le morceau était un peu dur à passer, elle n’en était pas fâchée. Et, comme pour un enfant qui boude devant sa cuiller pleine, elle soufflait narquoise et câline :

— Allons, mon beau petit ! Ouvrez le bec !… Houp là !…

Il ne s’agissait pas seulement des convenances choquées. Sylvie savait fort bien qu’elle avait blessé Annette dans un autre sentiment beaucoup moins avouable. Et la brigande s’en réjouissait, car elle se sentait ainsi maîtresse de sa sœur ; elle en ferait tout ce qu’elle voudrait… « Pauvre Annette ! Tu peux te débattre…! »