Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/100

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dix nuits en une. Et elle ne voulait pas se rappeler ce qu’elle avait rêvé…

Ceux qui entouraient Annette avaient remarqué son front soucieux et ses yeux absorbés ; ils ne comprenaient pas ce brusque changement, mais ils ne s’en inquiétaient point ; ils l’attribuaient à des causes extérieures, aux difficultés matérielles. Pour Annette, ces périodes de trouble étaient une saison de profond renouvellement. Elle ne leur rendait pas justice, car elle en portait le poids de gestation, plus angoissant que celui de la maternité. C’était aussi une maternité : celle de l’âme cachée. L’être est enfoui comme un grain au fond de la substance, dans l’amalgame d’humus et de glaise humains, où les générations ont laissé leurs débris. Le travail d’une grande vie est de l’en dégager. Il faut la vie entière pour cet enfantement. Et souvent, l’accoucheuse est la mort.

Annette avait l’angoisse secrète de l’être inconnu qui sortirait d’elle, un jour, en la déchirant. Prise de honte par accès, elle s’enfermait dans une retraite tumultueuse, en tête à tête avec l’Être immanent ; et leurs rapports étaient hostiles. L’air était saturé d’électricité ; des souffles se levaient et retombaient dans l’immobilité. Elle savait le danger. Sa conscience avait beau laisser dans l’ombre ce qui la gênait. « Dans l’ombre », c’était encore elle, c’était dans son logis. Et de savoir son logis peuplé, du haut en bas, d’êtres qu’on ne connaît pas, n’était point rassurant…

— Tout cela… Je suis tout cela… Mais qu’est-ce que cela veut de moi ?… Qu’est-ce que je veux, moi ?

Elle se répondait :

— Tu n’as plus rien à vouloir. Tu as.

Sa volonté raidie tournait toute sa violence d’amour vers l’enfant. Ces retours de passion maternelle n’étaient pas très heureux. Anormale, excessive, maladive, — (car cette passion procédait d’un essai impossible d’aiguillage