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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/211

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épaules remontées, il s’en allait, prenant un air supérieur. Il méprisait ce bavardage, cette sentimentalité de femmes qui disent tout. Comme il le déclarait à un petit camarade :

— Ces femmes sont insipides…

Au fond, il était vexé des marques de tendresse que sa mère prodiguait à Odette : quand il en était l’objet, il les repoussait ; mais il ne lui plaisait pas qu’une autre en profitât.

Sans doute, il avait sa tante, avec qui il pouvait prendre sa revanche ; et en effet, il la prenait : pour punir l’ingratitude de sa mère, il se montrait avec Sylvie dix fois plus aimable qu’Annette ne l’avait jamais vu. Mais il faut en convenir : bien que Sylvie le choyât, il était déçu. Sylvie le traitait en enfant ; et il ne le supportait point. Il n’aimait pas qu’elle crût lui faire plaisir, en le menant, chaque dimanche, à la pâtisserie : assurément il n’était pas indifférent à la pâtisserie ; mais il n’aimait pas qu’on lui fît l’injure de croire qu’il y attachât quelque importance. Et puis, il sentait trop que la tante le regardait comme un personnage sans conséquence : elle ne se gênait pas devant lui ; et la curiosité de Marc y trouvait peut-être son compte, mais non son amour-propre : car il percevait la nuance. Oui, il lui aurait plu que Sylvie se montrât à lui dans son intimité, mais comme à un vrai homme, non pas comme à un gosse. Enfin… (mais ceci, il ne se l’avouait pas volontiers), à voir de près Sylvie, il avait perdu des illusions. L’insouciante fille ne se méfiait pas de tout ce qui s’éveille dans le cerveau pur et trouble d’un garçonnet de dix ans, de l’image fabuleuse qu’il s’est fabriquée de la femme, et de la meurtrissure des premières découvertes. Sylvie ne surveillait pas beaucoup plus devant lui ses gestes et ses propos que devant un animal familier… (Rien ne nous dit, après tout, que l’animal familier n’en soit pas souvent choqué !)… Par instinct de défense