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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/213

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Odette était une volière peuplée d’un bruit d’ailes fiévreuses. De petits amours, invisibles, passaient : leur vol faisait glisser des ombres et des lumières. Elle était tour à tour contente et énervée, elle avait sans raison des envies de sangloter, puis d’éclater de rire, puis, une lassitude, une indifférence à tout, puis, on ne savait pourquoi, pour un mot, pour un geste, interprété à sa guise, elle était de nouveau heureuse, mais heureuse !… Écrasée de bonheur, ou bien ivre, comme une grive qui s’est gorgée de raisins ; elle parlait, elle parlait… Et prrrt !… Elle disparaissait, on ne savait plus ce qu’elle était devenue, on la retrouvait dans un recoin du cabinet de débarras, se cachant, savourant son bonheur inconnu, qu’elle eût été bien en peine de comprendre. Cette bande d’oiseaux de l’âme allaient, venaient, se succédaient à tire-d’aile…

On ne sait jamais jusqu’à quel point les enfants sont tout à fait sincères dans leurs émotions : comme elles leur viennent de loin, de beaucoup plus loin qu’eux, ils en sont, les premiers, des témoins étonnés, et ils en deviennent les acteurs qui les jouent, pour les expérimenter. Ce pouvoir de dédoublement inconscient leur est un procédé instinctif de préservation, qui leur permet de supporter une charge, sans cela, écrasante pour leurs frêles épaules.

Odette avait, pour l’un, pour l’autre, — et quelquefois pour personne — des transports de passion, auxquels spontanément elle donnait une expression théâtrale, pas toujours à voix haute, mais tout bas, en monologue, pour son propre soulagement ; en mimant le sentiment, elle en amortissait le choc. Ces élans s’adressaient le plus fréquemment à Annette, ou à Marc, — aux deux mêlés ; — et elle disait souvent : Annette, quand c’était Marc ; parce que Marc se moquait d’elle, Marc la dédaignait, et elle le détestait. Alors, elle avait des accès de souffrance humiliée et jalouse, un désir de