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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/260

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avait des besoins intellectuels, et qui n’avait besoin, en somme, que de parler d’idéal et de beaucoup d’autres choses, le tout sur le même plan, tranquille, propret, bien tenu, honnête, pur, et nul.

Plus jeune qu’Annette de trois ou quatre ans, elle avait subi autrefois pour Annette une de ces attractions paradoxales, que ressentent pour les natures dangereuses les natures sans danger. Il est vrai que ces phénomènes se produisent d’ordinaire, à distance. En fait, elle avait peu approché Annette, au lycée, où elles étaient dans des classes différentes. C’était seulement pour l’avoir vue au passage et pour avoir cueilli quelques échos des grandes que la petite Solange avait conçu pour son aînée une fascination intimidée. Annette ne s’en était pas doutée. Solange Pavait parfaitement oubliée, depuis. Elle s’était mariée, et elle était heureuse. Pour qu’elle ne le fût pas, il eût fallu que son mari fût un monstre, — ou un homme passionné. Victor Mouton-Chevallier n’était, grâce à Dieu, ni l’un ni l’autre ! Sculpteur de son métier, l’inspiration ne le tourmentait pas, car il avait des rentes et une riche flemme. Il ne manquait pas de goût ; mais il n’éprouvait aucun besoin pressant de traduire dans son art autre chose, ni autrement que ne l’avaient déjà fait celui-ci, celui-là, ou cet autre de ses illustres confrères de tous les temps. Et comme il ignorait l’ambition, comme il était dénué de sentiments mesquins, (peut-être aussi des autres), il goûtait une satisfaction sans mélange à se retrouver si bien, si complètement exprimé — (du moins, il s’en flattait) — par Michel— Ange, par Rodin, par Bourdelle, ou par de plus petits messieurs : car il était éclectique, et prenait partout son bien. Dans cet heureux état, ce n’eût vraiment pas été la peine de se fatiguer à produire soi-même, si ce n’eût ajouté au plaisir une saveur de plus : la flatteuse illusion qu’il était de la famille. Il prenait volontiers pour lui le respect attendri qu’il se croyait