Aller au contenu

Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/273

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Philippe Villard était de basse bourgeoisie franc-comtoise. Le père, imprimeur dans une petite ville, actif, remuant, audacieux, avait à la fois l’énergie et le manque de scrupules qu’il fallait pour réussir sur un plus vaste théâtre ; mais il ne réussit point, parce que, pour réussir, il y a une ligne d’audace qu’il faut savoir atteindre et ne pas dépasser, et qu’il la dépassait toujours. Gérant d’un canard local, qui nageait sur les eaux troubles de la politique, républicain gambettiste, anti-clérical à tous crins, grand brasseur d’élections, une fois il força la note des diffamations et chantages autorisés par la loi, (non ! l’usage) et, condamné, lâché par ceux qu’il avait servis, malade par surcroît, il se vit ruiné, son matériel vendu, toutes les haines locales démuselées maintenant qu’il n’avait plus les moyens de se faire utiliser ou craindre. Alors, il se débattit furieusement, comme un loup, contre la maladie, la misère et la méchanceté ; et l’exaspération empirant son état, il creva, exhalant jusqu’à son dernier souffle sa rancune implacable contre la trahison de ses anciens compagnons. Le petit avait dix ans ; et rien ne fut perdu pour lui de ces imprécations.

Sa mère, fière paysanne des plateaux jurassiens, habitués à lutter avec le sol ingrat que le vent âpre mord, servit comme femme de journée, lessiveuse au canal, fit les plus rudes travaux, solide comme une jument du Perche, abattant la besogne avec ses quatre membres et sa carcasse de fer, âpre au gain, mais exacte, probe, dure pour elle et serrée ; elle était crainte et recherchée :