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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/324

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ne l’avait-il pas averti ? Elle avait honte de se cacher, et davantage elle avait honte qu’il pût soupçonner… Non, il ne soupçonnait rien, c’était pour d’autres motifs qu’il haïssait Philippe…

Quant à Philippe, il ne faisait pas à Marc l’honneur de se soucier de lui. En épousant Annette, il aurait bien pris, par-dessus le marché, deux ou trois mioches de plus ; ni sentimentalement ni financièrement, cela ne comptait pour lui ; il ne fallait pas lui en savoir gré. Il voyait Marc sans déplaisir, il le trouvait pas trop bête, paresseux, peu dégourdi ; il l’eût sans doute rudement mis au pas ; mais il n’avait point de motif de s’attacher à lui, et il ne le cachait point. Il avait une façon de parler du petit, — de parler au petit, — une brutale bonhomie qui blessait au vif Annette. Habitué aux grossièretés de la vie, il n’avait nulle idée des égards que réclame une nature fine et fière, et de ses pudeurs offensées. À l’enfant, devant la mère, il donnait, en termes crus, de rudes avertissements, des conseils médicaux, qui faisaient rougir l’enfant et la mère. La mère, plus que l’enfant. La théorie de Philippe était qu’il ne faut rien cacher à l’enfant. C’était celle aussi d’Annette. Aussi, celle de Marc. Mais il y a la manière ! Annette souffrait dans sa chair. Marc, humilié, amassait la rancune. Entre lui et Philippe, il ne pouvait y avoir jamais que mésentente. Leurs deux tempéraments étaient trop différents. Annette pouvait prévoir les heurts, le désaccord sans fin. Pensée terrible pour elle, amante et mère passionnée !

Aucun appui à attendre d’aucun, pour se déterminer. Elle devait décider seule, égoïstement. Eh bien, n’avait-elle pas le droit de penser aussi à soi ? — Le droit ne suffit pas, si l’on ne tient pas assez à son droit. Y tenait-elle ?… Oui, par instants, comme une lionne, quand elle voyait le bonheur, la jeunesse, et la vie, qui allaient s’engouffrer… Le bonheur ?… Pas question de bonheur dans l’union avec un homme de l’espèce de Philippe !