Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/64

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état d’esprit superstitieux, où l’on a le besoin de s’accuser de la souffrance de l’innocent. Annette non seulement se reprochait de n’avoir pas assez veillé sur l’enfant, d’avoir commis des imprudences ; mais elle se découvrait de criminelles arrière-pensées : une lassitude (passagère) de l’enfant, l’ombre d’un regret inavoué que sa vie fût noyée en lui… Était-il bien sûr que ce regret, cette lassitude, elle les eût véritablement sentis et refoulés ? Sans doute, puisqu’ils ressortaient en ce moment. Mais qui sait si elle ne les inventait pas, par ce besoin qu’on a, lorsqu’on est impuissant à agir matériellement, d’agir par la pensée, fût-ce en tournant contre soi ses forces désespérées !…

Elle les tournait aussi contre le grand Ennemi : contre le Dieu inconnu. Quand elle voyait le petit visage tuméfié, — en lui soufflant son souffle, en le soulevant doucement dans ses mains aux gestes précis, — elle lui demandait passionnément pardon de l’avoir mis au monde, arraché à la paix, jeté dans cette vie en proie aux souffrances, aux hasards, aux caprices méchants d’on ne sait quel maître aveugle ! Et, la chair hérissée, comme une bête à l’entrée de son terrier, elle grondait, elle flairait l’approche des grands dieux meurtriers ; elle s’apprêtait à leur disputer son petit, et elle montrait les dents. Ainsi que toute mère, quand le fils est menacé, elle était l’éternelle Niobé qui, pour détourner sur elle le trait mortel, jette son furieux défi à l’Assassin…

Mais de ceux qui étaient près d’Annette, aucun ne devina cette bataille muette.

Au jour, le docteur vint ; il la complimenta pour sa présence d’esprit et les premiers soins donnés, — au lieu que souvent une inquiète affection nuit par sa maladresse. Mais elle ne retint de ses paroles que ce qu’il dit des épidémies de grippes et de rougeoles, qui sévissaient à Paris, et de la possibilité que son fils y eût pris les germes d’une broncho-pneumonie. En se refusant à quitter