Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/66

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Ces répits étaient de courte durée. La lutte se prolongea, avec des alternatives épuisantes. L’état s’améliorait, quand le petit eut une brusque rechute, dont la cause échappait. Ses fidèles veilleuses ne manquèrent pas d’aggraver leur tourment, en s’accusant chacune d’un instant d’oubli, qui avait pu compromettre la guérison. Annette se disait :

— S’il meurt, je me tuerai.

Depuis des nuits, elle s’était déshabituée de dormir ; elle tenait bon, tant que l’enfant avait besoin de son aide ; mais aux heures où le sommeil venait pour lui, et où l’esprit, plus tranquille, aurait dû en profiter pour se détendre, l’esprit était le plus trépidant. Il vibrait, comme aux vents un réseau télégraphique. Impossible de fermer les yeux : on ne pouvait sans danger rester en face du cerveau affolé. Annette rallumait sa lampe et tâchait de fixer une suite de pensées, pour échapper au vertige. Mais alors, c’était pour discuter avec soi des idées superstitieuses, enfantines, extravagantes, — du moins, qui paraissaient telles à son esprit habitué aux méthodes rationalistes. Elle se disait que si le malheur était suspendu sur elle, c’est qu’elle avait été trop complètement heureuse ; et il lui semblait que, pour que son fils fût guéri, il faudrait qu’elle fût frappée, sur quelque autre point. Croyance obscure et puissante, de dure compensation, qui remonte aux lointains de l’espèce ! Mais les peuples primitifs, pour se rendre favorable le farouche Dieu marchand qui ne donne rien pour rien et vend contre paiement, livraient le premier-né : ils achetaient de cette prime l’assurance du reste de leur bien. Et Annette eût, de sa vie et de son bien entiers, racheté son premier-né !

Elle disait :

— Prends-moi tout ! Mais qu’il vive !

Aussitôt, elle pensait :

— C’est stupide ! Personne ne m’entend…