Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/74

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ment, choisit ; en dehors du mobilier qui devait la suivre dans le nouvel appartement, elle réserva quelques meubles particulièrement chers à la vieille dame ; et elle fit vendre les autres.

Sylvie était frappée de l’insensibilité d’Annette. Il ne fallait pourtant pas croire que la courageuse fille n’éprouvât point de mélancolie. Elle aimait cette maison, qu’elle devait quitter… Tant de souvenirs ! tant de rêves ! Mais elle les refoulait. Elle savait bien qu’elle ne pouvait leur faire impunément leur part ! Ils étaient trop, ils auraient tout pris ; elle avait besoin de toute sa force, en ce moment.

Une seule fois, elle céda à leur assaut, par surprise. C’était une après-midi, peu avant le déménagement. La tante était à l’église, et Marc chez Sylvie. Annette, seule dans la maison de Boulogne, où tout sentait les approches du départ, à genoux sur un tapis à demi roulé, pliait une tenture déclouée. Tout occupée de sa tâche, tandis que ses mains actives allaient et venaient, sa tête faisait des calculs pour les arrangements nouveaux. Mais sans doute il restait de la place pour le rêve : car son regard qui, depuis un instant, flottait loin de la vision présente, fixa, parmi sa brume, un dessin de la tenture que les mains enroulaient ; et il le reconnut. Un motif de fleurs pâles, presque effacées : ailes de papillons, pétales détachés ? Peu importait ; mais les yeux d’Annette enfant s’y étaient posés, et sur ce canevas, ils avaient brodé la tapisserie des jours enfuis. Et cette tapisserie, brusquement, ressortait de la nuit… Les mains d’Annette cessèrent de ranger, son cerveau un moment encore s’obstina à répéter les chiffres, dont il avait perdu le fil, puis se tut. Et Annette, se laissant couler sur le plancher, le front sur le rouleau de tapis, le visage dans ses mains, étendue, les genoux repliés, s’abandonnant au vent et au flot, fit voile… Elle ne voyageait pas dans une contrée précise… Une telle masse de souvenirs — (vécus ? rêvés ?) — com-