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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/79

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en cas de besoin, et, si elle les voyait souffrantes ou dans la peine, ne les laissant pas sans aide. Mais, souffrantes ou non, si elle ne les voyait pas, elle les oubliait. Elle n’avait pas le temps de penser aux absents. Elle n’avait pas le temps d’aimer longtemps. Une activité perpétuelle, tous ses instants occupés : toilette, ménage, manger, métier, essayages, bavardages, amours, amusements. Et tout, — jusqu’aux (jamais très longs) silences où, entre le mouvement du jour et le sommeil de la nuit, elle se trouvait seule, en face de soi, — tout avait un caractère précis. Pas un coin pour le rêve. Quand elle s’observait, elle restait l’œil clair et curieux qui épie les autres et qui se regarde comme un passant. Un minimum de vie intérieure : tout projeté en actes et en paroles. Le besoin qu’avait Annette de confession morale ne trouvait point là son compte. Elle était gênée dans ce plein jour perpétuel. Aucune ombre. Ou, s’il en existait — (il en existe en toute âme) — la porte était fermée dessus. Sylvie ne s’intéressait pas à ce qu’il y avait derrière la porte. Il s’agissait d’administrer exactement son petit domaine : jouir de tout, de son travail et de ses plaisirs, mais le tout à son temps, afin de n’en rien perdre, par conséquent sans passions, sans grands excès, parce que cette activité et ce « passage » perpétuels ne s’y prêtent pas, et même en suppriment la possibilité, d’avance. Pas de danger que ses amants lui fissent perdre la tête !

En vérité, elle n’aimait bien, elle n’aimait tout à fait qu’un seul être : Annette… Et comme c’était curieux ! Pourquoi est-ce qu’elle l’aimait, cette grande fille, qui ne lui ressemblait en rien, — en presque rien ?

Ah ! ce « presque rien », c’était beaucoup, c’était (qui sait ?) le plus important : le sang… Cela ne compte pas toujours entre gens de même lignée. Mais quand cela compte, quelle force secrète ! C’est une voix qui nous souffle :

— Cet autre, c’est encore moi. Coulé en une autre