Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/24

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la voisine d’Annette, cette nouvelle mariée : trop faible pour protester. Des autres, bien peu comprennent pourquoi leur liberté entière, leur droit de vivre, doivent être aliénés aux mains d’un maître occulte, qui va les sacrifier. Mais, à part un ou deux, ils n’essaient pas de comprendre : ils n’en ont pas besoin pour acquiescer ; ils sont tous élevés dans le consentement, d’avance. Mille qui consentent ensemble se passent de raisons. Ils n’ont qu’à se regarder faire, et à faire comme les autres. Tout le mécanisme d’esprit et de corps se déclenche, de soi-même, sans effort… Mon Dieu ! qu’il est facile de mener au marché le troupeau ! Il y suffit d’un berger borné et de quelques chiens. Plus les bêtes sont nombreuses, plus elles sont dociles à diriger, car elles forment masse, et les unités se fondent dans le total. Un peuple est une pâte de sang qui se coagule… Jusqu’aux heures fatales du grand ébranlement, où périodiquement se renouvellent les peuples et les saisons : alors, la rivière gelée, qui brise sa banquise, saccage la contrée, en la recouvrant de sa chair en fusion…

Ces hôtes de la maison ne se ressemblent point. Leur foi, leurs traditions, leur tempérament diffèrent. Chacune de ces cellules d’âmes, chacune de ces familles, a sa formule chimique. Mais chez toutes, l’acceptation est la même.