Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/244

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et à en chercher la cause. Aucun de ceux avec qui il avait eu contact ne s’en était soucié. On aime, ou on n’aime pas. On n’a pas le temps de savoir qui on aime. Je ne m’en étais pas soucié longtemps, moi non plus. Mais la vie venait chèrement de me le faire payer (je vous l’ai conté). J’avais appris à mes dépens, qu’il ne faut jamais aimer le prochain comme soi-même, mais comme un autre, qu’il est, qu’il veut être, et qu’on doit découvrir…

Non, il ne me ressemblait pas, le petit étranger… C’est justement pour cela !… J’avais besoin de lui. Il avait besoin de moi…

Il avait été cruellement comprimé dans son milieu d’enfance et d’éducation : école de hobereaux militaires, cléricaux, avec leur rigorisme et leur anormalisme de caste antisociale. Sa nature féminine y fut brutalisée. Trop faible et trop seul pour réagir, il dut plier sous la contrainte des mœurs et des pensées. Mais, pour toute la vie, il en garda la blessure, comme d’un viol une fille forcée. Il en était resté timide et susceptible, sans confiance en soi, sans volonté, mal adapté, misanthrope, avec un besoin affamé d’aimer, d’être aimé, de se livrer — et la douleur, constante, d’être joué. Car ces natures sont faites pour qu’on en abuse. Elles montrent trop naïvement le défaut de la cuirasse. Les gens ne résistent pas au plaisir