Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/37

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eux, on s’est rencontrés, tout est organisé, le mot d’ordre est donné. Et si jamais les bougres se risquaient à la mobilisation, la mobilisation, c’est nous qui la ferions, des bras croisés !…

Mais Peltier ricane et sifflote de côté, dans sa barbe, et il dit à Perret :

— Tu es jeune, camarade !

Perret se fâche. Il a ses trente-sept ans passés ; et trente-sept à la peine, ça en vaut bien cinquante des jeans-qui-ne-foutent-rien. Mais Peltier, tranquillement, lui réplique :

— Justement ! Tu as trop peiné, tu n’as pas eu le temps de penser.

Et comme Perret proteste, en lui servant tout chaud l’article qu’il vient de lire dans le dernier numéro de son journal, — le seul qui mente selon la pente de son entendement, — Peltier hausse l’épaule, et dit, d’un air lassé :

— Quand il s’agit de parler !… Mais quand il s’agit d’agir !… Ils se défileront tous.

Ils se sont tous « défilés ». Jaurès une fois abattu, comme un taureau, d’un coup, par le lâche matador qui se cache derrière le volet, il y a eu ce grand cortège dans Paris atterré, cette sombre fête funèbre, ces discours, ces discours, cette pluie de discours sur celui qui ne pouvait plus parler. Et ils étaient tous là, ceux qui pleuraient l’homme couché, et ceux qui pensaient :