Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/46

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battement, leur cœur aspirait la lutte, l’embrun des flots ennemis à l’assaut ; et par delà, elles embrassaient les champs ravagés, où les roues de leurs chars s’étaient gravées, et l’horizon, le cercle sombre des forêts, les lignes souples des collines, et la coupole du libre ciel, qui attend les âmes libres. Annette, sur le chariot, regarde et reconnaît :

— … C’est ainsi…

Comme dit l’Inde :

— « Et cela, c’est toi, mon enfant. »

Le cirque du monde est rempli par l’Âme envahissante. Elle se reconnaît en lui… Moi, ces âmes enfiévrées… Moi, ces forces cachées, ces démons mis à nu, ces sacrifices, ces cruautés, ces enthousiasmes, ces violences… Moi, ces puissances maudites et sacrées, qui vont sortir du fond…

Ce qui est en les autres est en moi. Je me cachais. Je me découvre. Je n’étais jusqu’ici qu’une ombre de ce que je suis. Jusqu’ici, je vivais le rêve dans mes jours ; et le réel était dans mes rêves refoulés. Le voici, le réel ! Le monde en guerre… Moi…

Comment exprimer par des mots l’indicible qui gonfle, comme le moût dans la cuve aux vendanges, le silence et le songe de cette âme de Bacchante ? Ce bouillonnement qui monte, qu’elle observe, qu’elle hume — et ce calme vertige… Un drame terrible se joue ; elle en est une actrice. Mais le moment n’est pas venu encore pour elle d’entrer