Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/221

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qui s’imaginent jouer les Borgia !… Ces grosses cervelles allumées d’images de romans-feuilletons !… Leur poésie : Dumas papa et Octave Feuillet… Sont-ils cocos !.. Les derniers romantiques de la Tour de Nesle… » Mais son mépris n’eut pas le temps de s’attendrir sur leur bêtise… Voici qu’on amenait, au bord de la pelouse, une autre victime, qui, elle, prenait la Tour de Nesle au sérieux !… La petite naïade Adriatique, mourant de peur, se cachant le visage dans ses mains, et étalant sa fine et frêle nudité… Annette se rendait bien compte que le jeu cruel resterait un jeu, que la meute hurlante ne serait point lâchée, et que la chasse de Diane ne coûterait aux nymphes que la peur ; (honte et pudeur n’entraient pas en ligne de compte : c’était payé…) Mais c’était trop déjà pour la pauvrette, courbée d’effroi, prête à tomber sur les genoux, qu’entouraient les gambades des chiens et le chœur brutal d’hommes avinés. Annette sursauta de colère, quand elle vit Timon appliquer le large revers de sa main sur le derrière grassouillet de la figurine de Saxe, en lui cornant aux oreilles :

— « File ! Ou tes fesses feront le souper de mes chiens ! »

Annette ne s’accorda pas une seconde pour réfléchir. Elle descendait déjà, courant, l’escalier, sans s’apercevoir que ses pieds étaient nus. Elle déboucha sur l’esplanade où étaient groupés les invités, à l’instant même où la petite, terrorisée, s’envolait à bonds éperdus sur la pelouse, au milieu des acclamations des spectateurs enchantés. Et Timon, tenant au collier son grand chien, attendait le moment pour le lâcher. Annette connaissait le chien, elle savait qu’il n’offrait aucun danger, c’était un grand gamin fou, bousculant tout, point méchant. Mais la biche en fuite ne le savait pas. Annette se fraya violemment passage, parmi les gens étonnés, et faisant irruption devant Timon, elle l’empoigna par les revers de son habit :