Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/274

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une nuée obscure. Il se trouvait impuissant à lier ensemble deux idées ; il s’épuisait à faire le jour ; et il tremblait de ce que le jour lui révélerait… Ce fut soudain ! La nuée s’ouvrit. Il entendit le frêle pleur de Sibylle. Il cria :

— « Ma petite !… »

Il fit effort pour se relever ; mais il était immobilisé ; il se meurtrit contre un mur. Les infirmières lui tinrent les bras. Il continuait d’appeler ;

— « Mes chéris ! Je suis là ! Je viens ! Où êtes-vous ? »

On s’efforçait de le calmer. Il arrivait à reconstituer dans son esprit les derniers instants avant la chute, il suppliait qu’on lui dît où étaient les autres ; il voulait qu’on lui dît qu’ils étaient sauvés. On se gardait de le contredire ; on lui donnait des assurances vagues, dont, pas un instant, il n’était dupe, mais il exigeait qu’on les lui fît, qu’on les lui refît : sans cela, il n’eût pas pu revivre, et, malgré lui, l’égoïsme de la vie l’y forçait. Mais, quelques jours après, après qu’il eut longuement pesé dans le silence et dans l’horreur chacun des mots, chacun des regards de ceux qui l’entouraient, et ses souvenirs, il implora du regard le médecin, penché sur lui, qu’il connaissait : (il était d’une famille du Mezzogiorno, qui était en relations avec les Chiarenza) ; il dit :

— « Je sais, je sais… Je ne vous demande pas qui j’ai perdu… Je vous demande seulement qui me reste ! »

Une telle compassion se lut dans l’œil qu’il observait que, glacé d’effroi, il s’agrippa à la main robuste, posée à plat sur son lit, et il cria :

— « Non ! Quelqu’un me reste… Qui ?… Dites-moi qui ?… »

Le docteur se pencha et l’embrassa. Ce fut comme s’il croulait, une seconde fois. Du fond de l’abîme, il sanglota :