Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/297

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targuais à l’égard de la Roue des Apparences. Le tourbillon de poussière m’avait repris… »

Les « chemises noires » l’attendaient, au sortir de la salle : il faillit être écharpé. Il n’en devint pas plus prudent, mais seulement plus ironique et parfaitement maître de soi. En vain, ceux qui s’intéressaient à lui, en haut lieu, cherchaient à détourner de lui le danger, en le détournant de le chercher. Il fallut bien que vînt le moment où on ne put plus le ménager. Il refusait de passer à l’étranger, bien que la vie en Italie lui fût de plus en plus difficile. Il avait décidé de rester, aussi longtemps qu’il pourrait diminuer un peu de la souffrance, venir au secours des opprimés. Il s’y obstinait, doux et tenace. Et quand il ne lui fut plus possible de les aider ouvertement, il le fit clandestinement, déjouant avec la bonne humeur italienne la surveillance de la police ; il correspondit ou collabora, pour des objets de pure humanité, avec les adversaires politiques du fascisme.

Mis au régime du « domicilio coatto », il trouva moyen de continuer, à la barbe de ses geôliers bénévoles. Il y a, chez presque tout bon vieux Italien, une veine de Commedia dell’ Arte, qui lui peut tenir le cœur en joie dans les moments les plus tragiques et qui lui est d’une grande ressource, aux cas apparemment sans issue. Le grave comte Chiarenza combina les pouvoirs magiques de ses « lamas » avec les expédients de Pulcinella, pour faire servir ses propres gardiens à la partie qu’il jouait pour le service de l’humanité, et dont l’enjeu aurait pu être sa tête. Après les avoir bernés tout à son aise, après leur avoir fait porter, sans que leur large nez en eût vent, les messages les plus compromettants, à la veille du jour où il allait être arrêté et déporté aux îles Lipari, il réussit à s’en aller tranquillement de sa maison, laissant ses bons carabiniers