Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/360

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n’importe quoi, bon ou mauvais ; sa faim de vie et d’action ne se souciait pas de raisons. Mais Marc était bien aise qu’on lui en offrit : car l’intelligence était chez lui un moteur aussi puissant que l’instinct ; et ce moteur, il fallait le nourrir. Si affamé qu’il fût d’agir, si prêt qu’il fût à faire bon marché de sa vie, quelle force c’était pour l’action et quel bonheur de pouvoir se persuader que ce monde, que ce monde du temps présent, qui lui prendrait peut-être sa vie, valait ce don, qu’il était digne de ce sacrifice ! C’était là ce que Bruno, comme répondant à son désir secret, lui apportait, sans en avoir l’air, quand il causait avec Julien de la grande Époque : — « Laquelle ? » — « La nôtre, donc ! celle où nous peinons, celle qui nous fait et nous défait et que nous faisons, que nous bâtissons, humbles maçons du plan gigantesque. Dans la confusion du chantier et dans l’usure des millions de vies d’ouvriers sacrifiées, ainsi qu’aux temps des Pharaons, nous ne voyons pas monter la Pyramide, — les prodiges de l’esprit qui nous entourent, les miraculeuses découvertes et les conquêtes de la science, les reflambées de l’âme religieuse et révolutionnaire, les résurrections des vieilles races mises au tombeau, l’Inde et la Chine, et les grands chefs, qui incarnent en leur conscience les peuples héros : les Sun-Yat-Sen, les Gandhi et les Lénine.

De son commerce avec ses deux amis, Marc retirait un apaisement en profondeur, une tranquillité des assises. Bruno lui communiquait, par osmose, son intuition (que Marc n’avait pas le temps de vérifier par l’expérience) de l’être en mouvement, et il lui inspirait sa confiance en la marche du monde vers l’unité, à travers l’incessante mêlée. Il avait le sentiment qu’il existait, derrière le rideau du chaos, une éternelle harmonie, une lointaine musique des sphères, où se