Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/382

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— « C’était le bon temps ! » dit Marc, avec une tendre ironie.

— « Il n’était pas mauvais pour toi. Tu dansais. »

— « J’en suis bien aise ! Et toi, que faisais-tu ? Tu chantais ? »

— « Tu l’as dit !… Mon cantique de Jeanne d’Albret. »

— « Recommencerions-nous ? »

— « Quoi ? »

— « L’évangile de Marc ? »

— « Sans en passer une ligne. »

— « Tous les chapitres n’étaient pas bons. Je t’ai fait saigner, plus d’une fois. »

— « C’est moi qui t’ai fait tes griffes. »

— « Quelle chance pour nous, dans la vie dure, de nous être rencontrés ! »

— « Tu appelles cela une rencontre ? Grain de mon champ ! »

— « D’où vient le grain ? »

— « Je n’en sais rien. Je t’ai fait mien. »

— « Et si le vent m’avait porté dans un autre champ ? »

— « Tu n’aurais pas pu t’échapper. De n’importe quel grain, je t’aurais fait. »

— « Un peu de blé, beaucoup d’ivraie. »

— « Et des coquelicots, et des bleuets… Tout n’est pas bon à manger. Mais le tout m’est mon bouquet. »

— « Ma plus-que-mère, mon amie, il y a en nous deux — tu m’as donné — à la raison emmêlée la folie. »

— « C’est le meilleur. Aurions-nous vécu sans elle ? Dans les années sans soleil, le coquelicot et le bleuet nous éclairaient. »

— « Et tu dis vrai. Si je n’ai pas tant de fois coulé au fond, tiré aux pieds par le désespoir et par la honte, c’est que dans ton ventre j’ai dansé. »