Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/523

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troubles ni deuil… Gioia. Pace… On ne peut pas vous l’expliquer, si vous ne connaissez pas cet état. C’est une chance de fabrique. Une fois sur mille, la nature réussit le coup — réussit le couple.

Pour la grande fille, il eût semblé que la volonté aurait dû jouer dans l’adoption un plus grand rôle que pour l’enfant : car il avait bien fallu que le petit compagnon s’introduisît, un jour précis, dans sa vie, qui avant ne le connaissait pas. Mais voilà bien le plus étrange ! Quand elle y pensait à présent, il lui paraissait impossible que sa vie d’avant ne le connût pas. Autrement, comment l’eût-elle si parfaitement reconnu, quand il était venu ? Elle se souvenait : un jour, Annette lui avait mis l’enfant nu dans les mains ; et (la mère avait dû sortir un instant) elle était restée seule avec l’enfant ; troublée du doux contact sur ses doigts de ce petit corps d’oiseau sans plumes, elle s’était penchée sur l’oiseau, et le bambino avait souri : — un coup de joie l’avait frappée, l’inonda, de la gorge aux genoux, et ses seins s’étaient faits durs. Elle découvrait sa maternité. Jamais avant, dans sa vie de grand garçon bruyant, actif, sportif, elle n’en avait, une seconde, conçu le frémissement. Et maintenant qu’il lui était révélé, d’un jet de foudre, elle ne voulait même plus admettre la possibilité qu’elle eût vécu sans lui. Elle avait vécu pour lui, dans l’attente… Tout ce temps d’avant, elle s’était étourdie de mouvement et de jeux ; tout ce temps d’avant, elle avait tenu caché, formé, nourri, bercé, ce petit, son petit !… Tout ce petit corps lui était nouveau, et tout lui en était connu, jusqu’aux petits ongles de ses pieds, (elle riait de tendresse, en les regardant), jusqu’à son odeur de pain chaud.

Naturellement, elle n’avait pas osé le dire tout haut, devant les autres. Il y avait cette autre qui se disait la mère : (George, jalouse, lui savait gré de l’être