Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/558

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— « Sois tranquille ! » dit Annette. « Il m’en reste ! »

Elle s’offrit discrètement pour lui apprendre le piano. Mais Sylvie n’accepta d’elle que quelques indications élémentaires et lui refusa accès sur son terrain. Sa susceptibilité toujours en éveil était consciente de son ignorance, et voulait pouvoir y trébucher à son aise, sans que l’épiât un regard — même (surtout) le plus intime. Elle préférait, pour les conseils indispensables, s’adresser à une aide anonyme et payée.

Elle n’avait eu de la musique que des notions de solfège, par quelques cours populaires, en sa jeunesse, d’après la méthode Galin-Paris-Chevé. Les cours avaient été intermittents ; la petite chatte de gouttière avait, en ces temps, d’autre musique pour occuper ses nuits. Et quant aux chansons de la rue et de l’atelier, une fille de Paris n’a pas besoin, pour les apprendre, du papier. Elle avait l’oreille et la voix justes et pointues : faune par en haut, faune par en bas. Jusqu’à la lèvre inférieure, fine, en bec d’anche, qui avance, en mordant son fil, et le timbre aigrelet de flûtiau. Par là-dessus, une mémoire imperturbable. Pas une musique rencontrée qui n’y demeurât accrochée. Vingt ans après, elle en aurait pu repêcher le poil entortillé au démêloir. Son oreille avait été modelée par Annette, aux jours heureux où la grande sœur, dans la vieille maison de Bourgogne, laissait ses doigts rêver sur le clavier. Ces rêves, dont alors Sylvie se moquait sans les comprendre, étaient entrés dans sa volière : ne pas comprendre ne l’empêchait pas de prendre ; Sylvie ne laissait rien perdre, rêves ou rubans ; elle ramassait et elle rangeait : — « On n’en fera rien. » — « On ne sait jamais ! » Il y a toujours un moment où cela sert. — Plus tard, en ses jours de splendeur, elle avait donné chez elle des concerts. C’étaient, bien entendu, les casse-oreilles du dernier bateau, les atonalismes à