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LES PRÉCURSEURS

paix il n’est plus rien qu’un Herr Professor au collet galonné ?… »

Le général grogne encore, quand l’auto s’arrêtant, pour fermer la capote à cause de la pluie, S. E. entend au loin le crépitement des mitrailleuses. Alors, ses yeux s’éclairent :

« — Dieu merci ! Il y a encore la guerre ! » ……

On a pu se rendre compte, par les extraits cités, de la puissance d’émotion et d’ironie de l’œuvre. Elle brûle. C’est une torche de souffrance et de révolte. Ses défauts comme ses qualités tiennent à cette frénésie. L’auteur est un écrivain très maître de son art, mais il ne l’est pas toujours de son cœur. Ses souvenirs sont des plaies encore ouvertes. Il est possédé par ses visions. Ses nerfs vibrent comme des cordes de violon. Ses analyses de sentiments sont presque toujours des monologues trépidants. L’âme ébranlée ne peut plus trouver le repos.

On lui reprochera sans doute la place prépondérante que prend dans son livre la douleur physique. Elle le remplit. Elle obsède l’esprit et les yeux. C’est après avoir lu Menschen im Krieg que l’on reconnaît combien Barbusse a été sobre d’effets matériels. Si Latzko y recourt avec insistance, ce n’est pas seulement qu’il est poursuivi par cette hantise. Il veut la communiquer aux autres. Il a trop souffert de leur insensibilité.

C’est en effet la plus triste des expériences que nous devons à cette guerre. Nous savions l’humanité bien bête, bien médiocre, bien égoïste : nous la savions capable de bien des cruautés. Mais si dénué d’illusions que l’on fût, nous ne nous doutions pas de sa monstrueuse indifférence aux cris des millions de suppliciés. Nous ne nous doutions pas du sourire sur les lèvres