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LES PRÉCURSEURS

Jouve : Vous êtes des hommes[1] ; Poème contre le grand crime[2] ; surtout son admirable Danse des Morts[3]. Moins sensibles aux souffrances et plus préoccupés de comprendre, les romanciers anglais, H. G. Wells (Mr. Britling sees it through et Douglas Goldring (The Fortune)[4], analysent avec loyauté les erreurs angoissantes qui les entourent et auxquelles ils n’échappent point. Enfin, d’autres esprits, se réfugiant dans le spectacle du passé, y retrouvent le même cercle de maux et d’espérances, — le « Retour éternel ». — Ils transposent leur douleur sur un mode d’autrefois, ils l’ennoblissent ainsi et la dépouillent de son aiguillon empoisonné. Du haut abri des siècles, l’âme délivrée par l’art contemple les peines comme dans un rêve ; et elle ne sait plus si elles sont présentes ou passées. Le Jeremias de Stefan Zweig est le plus bel exemple que je connaisse, en notre temps, de cette auguste mélancolie, qui sait voir par delà le drame sanglant d’aujourd’hui l’éternelle tragédie de l’Humanité.

Ce n’est pas sans combats qu’on arrive à ces régions sereines. Ami de Zweig avant la guerre et resté son ami, j’ai été le témoin des souffrances subies par ce libre esprit européen, que la guerre écartelait dans ce qu’il avait de plus cher, dans sa foi artistique et humaine : elle le dépouillait de toute raison de vivre. Les lettres que j’ai reçues pendant la première année de guerre, dévoilent avec une beauté tragique ses déchirements désespérés. Peu à peu cependant, l’immensité de la catastrophe, la communion avec la peine

  1. Édit. de la Nouvelle Revue Française, Paris.
  2. Édit. de la revue Demain, Genève.
  3. Édit. des Tablettes, Genève. — Réédité par l’Action Sociale, La-Chaux-de-Fonds.
  4. The Fortune, a romance of friendship, — Éd. Maunsel, Dublin et Londres, 1917.