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LES PRÉCURSEURS

en ce qu’il a la faculté de transformer son milieu, à un degré infiniment supérieur ; et, par suite, il lui faut y adapter ses instincts. Ils sont tenaces, et la lutte est dure ; elle n’en est que plus nécessaire. Des races animales ont été anéanties, parce qu’elles n’ont pu changer assez vite leurs instincts, tandis que les milieux changeaient. « L’homme se laissera-t-il anéantir, parce qu’il ne veut pas changer les siens ? Car il le peut, ou il le pourrait. L’homme seul peut choisir et par suite se tromper ; mais cette malédiction de l’erreur est la conséquence nécessaire de la liberté et donne naissance au pouvoir béni qui lui est accordé d’apprendre et de se modifier ». Mais l’homme n’use guère de ce pouvoir. Il est encore encombré d’instincts archaïques ; il s’y complaît ; il surestime ce qui est ancien, justement parce qu’il y reconnaît des instincts héréditaires et obscurs. Mauvaise recommandation !

Dans le royaume des borgnes, l’aveugle ne doit pas être roi. Le fait que nous avons toujours des instincts guerriers ne signifie pas que nous devions leur laisser la bride sur le cou ; il serait temps de les refréner, aujourd’hui que nous sentons les avantages de l’organisation mondiale. Et Nicolaï, quand il voit ses contemporains se livrer à leur enthousiasme pour la guerre, pense aux chiens ridicules qui persistent à égratigner l’asphalte, après avoir pissé.

Qu’est-ce au juste que les instincts belliqueux ? Sont-ils des attributs essentiels de l’espèce humaine ? Nullement, d’après Nicolaï ; ils en sont bien plutôt une déviation : car l’homme est, à son origine, un animal pacifique et social. Cela résulte de son anatomie. Il est un des êtres les plus démunis d’armes : sans griffes, ni cornes, ni sabots, ni cuirasse. Ses ancêtres, les singes, n’avaient d’autres ressources que de chercher un refuge dans les branches d’arbres. Quand l’homme descendit à terre et se mit à marcher, sa main devint