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LES PRÉCURSEURS

Toute pensée, une fois exprimée, mène dans la communauté des hommes une vie indépendante de son créateur, se développe dans les autres et, comme le plasma germinatif, a une vie éternelle. En sorte qu’il n’y a dans l’humanité ni vraie naissance, ni vraie mort matérielle et spirituelle : ce que la sagesse d’Empédocle a su voir et exprimer ainsi :

« Mais je te veux révéler autre chose. Il n’y a pas de naissance chez les êtres mortels, et il n’y a pas de fin par la mort qui corrompt. Seul, le mélange existe, et seul, l’échange des choses qui sont mêlées. Naissance n’est que le nom dont l’appellent les hommes. »

L’humanité est donc, matériellement et spirituellement, un organisme unique, étroitement lié, dont toutes les parties se développent en commun.

Sur ces idées viennent maintenant se greffer le concept de mutation et les observations de Hugo de Vries. — Si cette substance vivante qui est commune à toute l’humanité a acquis, à quelque moment et sous quelque influence, la propriété de se modifier[1], après un certain temps, soit un millier d’années, tous ceux qui ont en eux une partie de cette substance peuvent accomplir soudain un égal changement. On sait que Hugo de Vries a observé ces variations subites chez les plantes[2]. Après des siècles de stabilité de tous les caractères d’une espèce, brusquement, une année, se produit une modification dans un grand nombre d’individus de cette espèce (les feuilles sont ou plus longues, ou plus courtes, etc.). Aussitôt, cette modification se pro-

  1. À la vérité, ceci me semble le point délicat de la théorie. Comment concilier la mutation et la variabilité du plasma germinatif avec son immortalité et sa transmission éternelle ?
  2. Arten und Varietäten, und ihre Entstehung durch Mutation, 1906.