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LES PRÉCURSEURS

peuples, pour suivre les troupeaux délirants, les affoler encore plus par leurs cris, et les précipiter à l’abîme, Maxime Gorki est un des rares qui aient gardé intacts leur raison et leur amour de l’humanité. Il a osé parler pour les persécutés, pour les peuples bâillonnés, tenus en servitude. Le grand artiste qui a partagé longtemps la vie des malheureux, des humbles, des victimes, des parias de la société, ne les a jamais reniés. Arrivé à la gloire, il se retourne vers eux et projette la lumière puissante de son art dans les replis de la nuit où l’on cache les misères et les injustices sociales. Son âme généreuse a fait l’expérience de la douleur ; elle ne ferme pas les yeux sur celle des autres…

Haud ignora mali, miseris succurrere disco

C’est pourquoi, en ces jours d’épreuves — (d’épreuves que nous saluons, parce qu’elles nous ont appris à nous compter, à peser la valeur vraie des cœurs et des pensées) — en ces jours où la liberté de l’esprit est partout opprimée, nous devons dire bien haut notre reconnaissance à Maxime Gorki. Et, par dessus les batailles, les tranchées, l’Europe ensanglantée, nous lui tendons la main. Il faut, dès à présent, à la face de la haine qui sévit entre les nations, affirmer l’union de la Nouvelle-Europe. Aux « Saintes-Alliances » guerrières des gouvernements, opposons la fraternité des libres esprits du monde entier !


30 janvier 1917.


(Revue : Demain, Genève, juin 1917.)