Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/137

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réformé. Mais c’était aussi la raison pour laquelle il s’interdisait le mariage. Quoique cette vie ne fût pas gaie, il paraissait heureux. Quelquefois cependant, une brume de mélancolie traînait dans son regard. Il avait des périodes de fatigue épaisse, pendant lesquelles il fuyait, se terrait, léthargique, la langue liée, le cerveau comme paralysé. Après des semaines, il reparaissait, avec son sourire dévoué et son activité. Alors, les camarades qui ne s’étaient pas souciés de lui pendant son absence, trouvaient naturel de le charger, pour la cause, de toutes les tâches qu’ils esquivaient. Et Pitan repartait en courses, rentrant à la nuit tombante, ou au milieu de la nuit, quand la dernière feuille était distribuée, — fourbu, trempé, satisfait.

Marc n’était pas de force. Pitan le prit en pitié : et, sans le lui laisser voir, il trouva des raisons pour faire halte et souffler.

La parole de Pitan était lente, calme, sans arrêt : elle s’épanchait comme l’eau unie d’un canal entre les deux écluses de ses périodes de mutisme ; l’impatience de Marc tentait en vain de l’interrompre : Pitan, souriant, le laissait parler, puis, tenace, se remettait à dévider sa pensée. Il était insensible à l’ironie. Il ne s’en faisait pas accroire sur la valeur de sa parole. Sa parole lui était un besoin d’éclaircir sa pensée. Il ne le pou-