Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/222

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étendu) — le voyage intérieur. Ce n’est pas le moins lointain, ni le moins mystérieux… Terre inconnue… Il l’explorait, en conscience… Mais d’où lui étaient donc venus cette vocation, ce goût de fuir ?…

Il expliquait à Annette, sur le ton enjoué et moqueur, dont il habillait ses pensées :

— Je vivais aux champs. J’aimais à chasser, moins pour la chasse que pour le contact avec la terre et les vivants, bêtes et plantes. Aimer les bêtes ne m’empêchait pas de les tuer. Mais tuer les bêtes ne m’empêchait pas de les aimer. Quand je tenais dans ma main la perdrix encore chaude, ou que je serrais le ventre du lapin au cul blanc, afin de lui faire rendre son déjeuner de rosée, je me sentais plus proche d’eux, peut-être, que de moi, — de l’homme. Je ne m’attendrissais pas. On est toujours content d’un beau coup de fusil. Et je pense qu’eux étant à ma place, moi étant à la leur, ils ne m’eussent point raté. Mais je cherchais à connaître eux et moi. Ensuite, je les mangeais… Pourquoi froncez-vous le nez ? Est-ce pour mieux les humer ? Un plat de perdrix aux choux, tranches de lard bien doré, est un repas des dieux. Vous ne l’eussiez point boudé… Mais les dieux, avouons-le, sont d’étranges animaux.

— Des animaux affreux.

— Ne jugeons point ! Mangeons ! Soyons mangés ! (Pour l’instant, c’est mon tour). Et tâchons