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Page:Rolland - Musiciens d’aujourd’hui.djvu/27

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BERLIOZ

à Weimar, à la suite d’un excès de fatigue, il a pris une névrose intestinale. Elle commence par un malaise incroyable : il dort dans les rues. Il souffre constamment. Il est comme « un arbre sans feuilles et ruisselant de pluie ». À partir de 1861, la maladie est à l’état aigu. Il a des crises de trente heures, pendant lesquelles il se tord de douleur dans son lit. « Je vis au milieu de mes douleurs physiques, et écrasé d’ennui. La mort est bien lente[1] ! »

Et le pire de tout : au sein de ses misères, rien ne peut le soutenir. Il ne croit à rien, à rien.

Il ne croit pas en Dieu, il ne croit pas à l’immortalité :

Je n’ai pas la foi[2]… J’ai pris en haine la philosophie et tout ce qui lui ressemble, philosophie religieuse ou non[3]… Je suis aussi incapable de faire une médecine de la foi, que d’avoir foi en la médecine[4]… Dieu est stupide et atroce dans son indifférence infinie[5].

Il ne croit pas à la gloire, il ne croit pas aux hommes, il ne croit pas au beau, il ne croit pas à lui-même :

Tout passe, l’espace et le temps absorbent beauté, jeunesse, amour, gloire et génie ; la vie humaine n’est rien, la mort pas davantage ; les mondes eux-mêmes naissent et meurent comme nous, tout n’est rien… Oui ! oui ! oui ! Tout n’est rien ! Tout n’est rien ! Aimez ou haïssez, jouissez ou souffrez, admirez ou insullez, vivez ou mourez, qu’importe tout ! Il n’y a ni grand, ni petit, ni beau, ni laid : l’infini est indifférent, l’indifférence est infinie[6]… Je suis las, et obligé de reconnaître que les absurdités sont néces-

  1. Lettre à Asger Hammerik, fin 1865.
  2. Lettres à la princesse de Wittgenstein, 22 juillet 1862.
  3. Ibid., 21 septembre 1862.
  4. Ibid., août 1864.
  5. Mémoires, II, 335. Il scandalise par son irréligion Mendelssohn et Wagner lui-même. (Voir la lettre de Berlioz à Wagner, du 10 septembre 1855.)
  6. Les Grotesques de la Musique, p. 295-6.