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profession de foi du vicaire savoyard

est de la bonté de l’auteur de leur être de les condamner à souffrir toujours… Toutefois j’ai peine à croire qu’ils soient condamnés à des tourments sans fin. Si la suprême justice se venge, elle se venge dès cette vie.

C’est ainsi que, contemplant Dieu dans ses œuvres, et l’étudiant par ceux de ses attributs qu’il m’importait de connaître, je suis parvenu à étendre et augmenter par degrés l’idée, d’abord imparfaite et bornée, que je me faisais de cet être immense.

…Quand j’entends dire que mon âme est spirituelle et que Dieu est un esprit, je m’indigne contre cet avilissement de l’essence divine ; comme si Dieu et mon âme étaient de même nature ! comme si Dieu n’était pas le seul être absolu, le seul vraiment actif, sentant, pensant, voulant par lui-même, et duquel nous tenons la pensée, le sentiment, l’activité la volonté, la liberté, l’être ! Nous ne sommes libres que parce qu’il veut que nous le soyons ; et sa substance inexplicable est à nos âmes ce que nos âmes sont à nos corps.

Plus je m’efforce de contempler son essence infinie, moins je la conçois ; mais elle est, cela me suffit : moins je la conçois, plus je l’adore. Je m’humilie, et lui dis : Etre des êtres, je suis, parce que tu es ; c’est m’élever à ma source que de te méditer sans cesse. Le plus digne usage de ma raison est de s’anéantir devant toi ; c’est mon ravissement d’esprit, c’est le charme de ma faiblesse de me sentir accablé de ta grandeur.