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jean-jacques rousseau

la haine des Encyclopédistes, que moralement il réfutait, que socialement il dépassait. Voltaire et ses grands lieutenants, Diderot, d’Alembert, d’Holbach, Helvétius, ont incarné surtout le côté négatif de l’esprit nouveau, acharné à la destruction de la vieille société, de ses préjugés et de ses abus ; ils ont été les champions de la libre raison critique et railleuse. Rousseau représente, à lui seul, le côté constructeur, l’affirmation de la foi nouvelle ; il est l’annonciateur de la République. Et c’est de lui que se réclame la Révolution française. Son apothéose eut lieu à l’apogée de la Convention. C’est Robespierre qui fit décréter le transfert de ses cendres au Panthéon.

Et certes, cette victoire posthume n’était point celle que Rousseau eût pu rêver. Il y a tout lieu de croire que, comme Voltaire, il eût renié cette Révolution, qui le revendiquait. Mais les grandes œuvres dépassent toujours leur auteur. L’esprit, qu’ils ont déchaîné, provoque des tempêtes, qu’ils n’avaient pas prévues. Ces bouleversements sociaux n’en sont pas moins leur ouvrage. En dépit de ses protestations contre le rôle que son destin lui a assigné, Rousseau le solitaire restera dans l’histoire le grand précurseur des tempêtes, l’initiateur des temps nouveaux.