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julie ou la nouvelle héloïse

son cœur, sous les plus ravissantes images »… Il imagina deux amies, « de caractères analogues, mais différents… non pas parfaites, mais de son goût, qu’animaient la bienveillance et la sensibilité. Je fis l’une brune et l’autre blonde, dit-il, l’une vive et l’autre douce, l’une sage et l’autre faible, mais d’une si touchante faiblesse que la vertu semblait y gagner. Je donnai à l’une des deux un amant dont l’autre fût la tendre amie, et même quelque chose de plus ; mais je n’admis ni rivalité, ni querelles, ni jalousie, parce que je ne voulais ternir ce riant tableau par rien qui dégradât la nature. Epris de mes deux charmants modèles, je m’identifiais avec l’amant et l’ami ; mais je le fis aimable et jeune, lui donnant au surplus les vertus et les défauts que je me sentais. — Pour placer mes personnages dans un séjour qui leur convînt, je passai successivement en revue les plus beaux lieux que j’eusse vus dans mes voyages… Je songeai longtemps aux îles Borromées, dont l’aspect délicieux m’avait transporté ; mais j’y trouvai trop d’ornement et d’art pour mes personnages. Il me fallait cependant un lac, et je finis par choisir celui autour duquel mon cœur n’a jamais cessé d’errer. Je me fixai sur la partie de ce lac (Léman) à laquelle depuis longtemps mes vœux ont placé ma résidence dans le bonheur imaginaire auquel le sort m’a borné. J’établis à Vevey mes jeunes pupilles… — Je jetai d’abord sur le papier quelques lettres épar-