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julie ou la nouvelle héloïse

cœurs et qui, leur ordonnant de s’unir, les peut contraindre à s’aimer.

Que signifie ce sacrifice des convenances de la nature aux convenances de l’opinion ? La diversité de fortune et d’état s’éclipse et se confond dans le mariage : elle ne fait rien au bonheur ; mais celle d’humeur et de caractère demeure, et c’est par elle qu’on est heureux ou malheureux. L’enfant qui n’a de règle que l’amour choisit mal ; le père qui n’a de règle que l’opinion choisit plus mal encore. Qu’une fille manque de raison, d’expérience, pour juger de la sagesse et des mœurs, un bon père y doit suppléer sans doute ; son droit, son devoir même, est de dire : « Ma fille, c’est un honnête homme », ou : « C’est un fripon ». — « C’est un homme de sens », ou : « C’est un fou ». Voilà les convenances dont il doit connaître ; le jugement de toutes les autres appartient à la fille. En criant qu’on troublerait ainsi l’ordre de la société, ces tyrans le troublent eux-mêmes. Que le rang se règle par le mérite et l’union des cœurs par leur choix, voilà le véritable ordre social ; ceux qui le règlent par la naissance ou par les richesse sont les vrais perturbateurs de cet ordre, ce sont ceux-là qu’il faut décrier ou punir.

Il est donc de la justice universelle que ces abus soient redressés ; il est du devoir de l’homme de s’opposer à la violence, de concourir à l’ordre.

…Si l’amour ne règne pas, la raison choisira