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jean-jacques rousseau

maternité dans l’amour ; et en Mme de Warens il l’a trouvée.

Après de courts essais pour vivre loin d’elle, par obéissance à la jeune « maman », qui eût voulu lui faire trouver une carrière, — mais sans désir d’y réussir, — le petit vagabond, qui courait les routes à pied, entre Annecy et Turin, par-dessus les Alpes, puis à Lyon, à Lausanne et à Neuchâtel, et de là, toujours à pied, toujours rêvant, toujours flânant, jusqu’à Paris, revenait toujours à la « maman », qui avait transporté son domicile à Chambéry. Et celle-ci, enfin découragée et charmée, le prit chez elle et fit ménage avec le jeune amoureux. Elle était, comme lui, tendre et sensuelle, insouciante et chimérique, bonne, facile jusqu’à l’excès, mais étrangement indifférente, même à ceux qu’elle aimait le mieux, et les oubliant, aussitôt qu’ils l’avaient quittée ; elle ne sut jamais tout ce qu’elle fut pour Jean-Jacques ; ou, si elle le sut, elle ne s’en soucia guère. Mais pendant trois ans, — trois étés délicieux qu’ils vécurent ensemble, dans la riante maison des Charmettes, près de Chambéry (1738-1740), — ce fut pour Jean-Jacques un rêve de paradis. En même temps qu’il y goûtait « le bonheur pur et plein », il y faisait son éducation littéraire, — vagabonde comme avait été sa vie de jeunesse et comme fut toujours son caractère : lisant pêle-mêle Montaigne, La Bruyère. Bayle, Bossuet, Voltaire. Ce fut ce dernier, — son futur ennemi, — dont les « Lettres