non seulement son attente, mais la valeur assez médiocre qu’il attribuait lui-même, avec justesse, à ce premier écrit. Bien plus, l’opinion publique, qui s’en saisit, lui prêta une portée révolutionnaire, dont Rousseau se défendit, opiniâtrement, et sans succès. On vit en lui un destructeur de la civilisation, qui prétendait faire table rase de toutes ses conquêtes. Et il ne prétendait qu’à se sauver lui-même, et avec lui, sa petite patrie de Genève, en se dégageant de la contagion de ce monde hypercultivé, civilisé jusqu’à l’excès morbide et à « la détérioration de l’espèce », — mais sans espérer, ni sans tenter la guérison de l’incurable.
Mais l’homme propose, et le génie dispose. Une fois la plume en main, il ne lui fut plus permis de s’arrêter, il lui fallut aller jusqu’au bout. Sa pensée, qui lui revenait multipliée par le triomphe sans précédent de son premier « Discours », le jeta dans « une fermentation d’héroïsme et de vertu », dont « son père, sa patrie, et Plutarque avaient mis en lui, dès l’enfance, le premier levain ».
Il faut noter que son « illumination » de 1749 coïncidait avec l’irruption de la maladie de vessie, qui devait dès lors le torturer et l’intoxiquer jusqu’à la mort. Le mal semblait désespéré. En 1749, les médecins ne lui accordaient plus six mois à vivre. Qu’on imagine la frénésie que peut donner cette conviction à une âme courageuse et sincère ! Elle n’a plus rien à ménager.
