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jean-jacques rousseau

entre les combattants et leur prêcher la tolérance. Il ne fit que les tourner tous contre lui.

Il mit longtemps à se rendre compte du danger. Lui, toujours prêt à s’inquiéter sans raison, il se refusait à comprendre les avertissements multipliés de ses amis, qu’alarmait la publication prochaine de l’ « Emile ». Rousseau baignait dans l’extase où il avait composé ce livre, qui lui remplaçait sans doute les fils qu’il avait eus et perdus. Dans le délicieux petit château que les Luxembourg lui avaient offert, environné d’eau, comme une « Isola Bella », avec, pour compagnie, sa Thérèse, sa chatte et son chien, il n’entendait pas gronder le tonnerre à la lisière de sa forêt de Montmorency. Quand il commença à s’effrayer, il tomba de son haut, il perdit le sens, il vit le danger partout où il n’était pas, il accusa les jésuites, qui avaient bien autre chose à penser, en ce moment, car ils étaient persécutés et expulsés de tous les pays catholiques. Les médecins qui ont étudié le cas Rousseau datent de cette fin d’année 1761 la première crise grave de son délire de persécution. Un coup si inattendu l’a provoquée. Il s’y joignait une violente crise de sa maladie urinaire, dont les tortures le firent, un instant, songer au suicide.

C’est dans cet état que tomba sur lui l’arrêt terrible du Parlement de Paris. Moins de vingt jours après que l’ « Emile » avait paru en Hollande, et avant qu’il ait eu le temps