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discours sur l’origine de l’inégalité

de la patrie en devenir tôt ou tard les ennemis, tenir sans cesse le poignard levé sur leurs concitoyens.

C’est du sein de ce désordre et de ces révolutions que le despotisme, élevant par degrés sa tête hideuse, et dévorant tout ce qu’il aurait aperçu de bon et de sain dans toutes les parties de l’état, parviendrait enfin à fouler aux pieds les lois et le peuple, et à s’établir sur les ruines de la république. Les temps qui précéderaient ce dernier changement seraient des temps de troubles et de calamités ; mais à la fin tout serait englouti par le monstre, et les peuples n’auraient plus de chefs ni de lois, mais seulement des tyrans.

C’est ici le dernier terme de l’inégalité, et le point extrême qui ferme le cercle et touche au point d’où nous sommes partis : c’est ici que tous les particuliers redeviennent égaux, parce qu’ils ne sont rien, et que les sujets n’ayant plus d’autre loi que la volonté du maître, ni le maître d’autre règle que ses passions, les notions du bien et les principes de la justice s’évanouissent derechef : c’est ici que tout se ramène à la seule loi du plus fort, et par conséquent à un nouvel état de nature.

…Le contrat de gouvernement est tellement dissous par le despotisme, que le despote n’est le maître qu’aussi longtemps qu’il est le plus fort ; et que sitôt qu’on peut l’expulser, il n’a point à réclamer contre la violence. L’émeute qui finit par étrangler ou détrôner